Entretien avec Stéphany Lesaint

Bonjour Stéphany.

Bonjour Ambre !

 

Depuis combien de temps travaillez-vous au Château Mazeyres et quelle fonction y exercez-vous ?

Je suis arrivée à Mazeyres pour souhaiter la bonne année le 3 janvier 2013. Et je suis Assistante de direction auprès d’Alain Moueix. Il donne des directions, nous empruntons des chemins (sourire).

 

J’ai observé que votre rôle est créatif dans cette fonction d’Assistance à Alain. Les consignes sont interprétées plus qu’exécutées et quand c’est possible, elles débouchent sur des suggestions. Votre travail n’est donc pas purement technique.

Alain m’accorde la confiance dont j’ai besoin et beaucoup de liberté dans le cadre de mes fonctions. J’adore ce privilège. J’organise mes tâches selon un fonctionnement très personnel et j’élabore en coulisse ce qui est nécessaire pour obtenir le résultat qu’il attend. Le but est toujours clair et la consigne n’est pas séparée de son intention concrète, ce qui me permet de m’en emparer.

 

Que diriez-vous en une phrase ou deux si vous deviez décrire l’atmosphère de votre travail à Mazeyres ? Vous parliez à l’instant de confiance, de liberté, des indicateurs forts de votre bien-être sur cette propriété.

Oui cette confiance réelle et non sur-jouée pour les besoins de bonnes relations de travail, est la base de la créativité que je peux laisser s’exprimer. Certains postes opposent une mention hors sujet immédiate lorsqu’une initiative est prise par un employé. Ici il y a une vraie rencontre, non seulement avec Alain mais avec vous Ambre, qui vivez sur le lieu et observez parfois notre travail. L’expression personnelle est rendue possible grâce à ce confort d’être soi. Il y a aussi une surenchère à partir de la générosité d’Alain Moueix. C’est un mouvement ascendant très épanouissant et ça provoque de la sérénité. Tout ce que j’ai traversé professionnellement et même personnellement, trouve ici son terrain d’expression pour alimenter notre travail.

 

En 2017, lors de la Conférence des Primeurs donnée par Pierre Guigui au Château Fonroque, une viticultrice en biodynamie évoquait les transformations profondes que cette pratique avait provoquées en elle. On allait beaucoup plus loin que la simple sphère professionnelle et c’est l’impression que m’inspirent vos propos. L’argument écologique environnemental était largement dépassé au profit d’une écologie de soi.

Je comprends tout à fait cela. Les rythmes suggérés par la biodynamie nous pétrissent en quelque sorte. Il y a « travailler », et il y a « être travaillée » en même temps, parce que ces pratiques nous engagent de la tête aux pieds.

 

Ça rejoint ma question suivante et y répond partiellement. Est-ce que votre fonction d’Assistante de direction se trouve modifiée du fait de travailler sur une propriété en biodynamie par rapport à ce qui se ferait sur une propriété en viticulture conventionnelle ? Parce que c’est assez évident quand on parle de terrain mais plus subtil peut-être quand on parle des coulisses administratives et communicantes. En plus, vous avez les deux expériences à votre actif.

Je trouve qu’il y a plus de mouvements entre les différents acteurs. Nous ne sommes pas cantonnés et maintenus dans notre rôle. Jean-Michel qui est chef de culture, nous parle tous les matins, Ludovic le maitre de chai, échange souvent au sujet des vins, Delphine, en tant que chef d’équipe, fait régulièrement référence à son quotidien et personne ne semble considérer que ça ne regarde pas les autres. Alain distille un esprit à part qui transparaît partout. Nous ne sommes pas forcément à l’abri de ce qui anime et perturbe tout groupe humain mais il y a vraiment un sentiment de corps pour mener à bien une mission qui nous a été confiée. Le but est évidemment de faire le plus grand vin possible et cet objectif nous unit. C’est un faisceau de forces vives qui se concentre autour de l’essentiel, un cloisonnement de compétences mais pas un cloisonnement humain. Et même si le sentiment d’équipe et la solidarité sont observables ailleurs que sur des propriétés en biodynamie, ce mode cultural demande tout de même une coordination particulière. Je pense qu’il y a aussi ici, sans discours, quelque chose de plus spirituel qui s’immisce dans les relations. Bien sûr d’autres lieux sont aussi des endroits géniaux pour travailler mais en échangeant avec des collègues d’autres propriétés, j’entends souvent que j’ai de la chance. Et je crois que c’est vrai.

 

Pourriez-vous me citer un ou deux événements marquants qui ont eu lieu au cours de votre vie professionnelle à Mazeyres ? Je vous ai identifiée comme une personne particulièrement sensible qui capte beaucoup des éléments saillants de la vie de tous les jours, mais peut-être y en a-t-il qui vous viennent aujourd’hui et que vous aimeriez nous faire partager.

Mon arrivée ici a été un chamboulement, un basculement, et cet événement marquant est toujours d’actualité. C’est un parcours plein de surprises. Mais ce qui m’a stupéfiée au début était le contraste avec mon job précédent. Le silence, le calme qui régnaient, me permettaient de réaliser des tâches sans être continuellement interrompue et en y mettant ce que je souhaitais y mettre d’application et de concentration. L’émotion était très forte parce que je retrouvais mon efficacité, ma disponibilité, mes moyens pour atteindre des résultats satisfaisants et donc gratifiants. Je pouvais être très occupée sans être assaillie. J’étais très seule et c’était un peu vertigineux mais maintenant j’ai apprivoisé cette solitude.

Ensuite c’est le 5 septembre 2013 qui m’a beaucoup marquée. Neuf mois après mon arrivée sur les lieux, une cinquantaine de chaises ont été rassemblées autour du perron de Mazeyres pour écouter le soir un duo musical (ambreozchristophejodet-PURCELL), avant un dîner offert à la place de Bordeaux pour fêter 20 ans de collaboration avec Alain Moueix. J’ai senti de plein fouet le caractère spirituel de ce lieu. La musique était le liant. L’art faisait discrètement partie de l’endroit à côté de sa vocation agricole. C’était très fort. Je crois qu’Alain nous rend meilleurs en organisant des choses pareilles.

 

Quel est votre millésime préféré et pourquoi ?

J’adore le millésime 2012 de Mazeyres. Il est d’une grande fraîcheur avec un charme fou et de jolies rondeurs. Pas de rigueur ni d’austérité mais une grande vibrance. C’est le premier millésime de Mazeyres en biodynamie et lorsque je l’ai gouté la première fois j’ai senti une énergie sans comparaison avec les millésimes précédents. Je l’ai adoré et super bien vendu. Dans l’été de sa mise en bouteille les gens l’achetaient comme des petits pains et Ludovic, le maitre de chai s’est demandé à son retour de congé ce que j’avais fait de la palette pendant les vacances. J’aime la complétude de ce millésime et je ne suis pas la seule parce qu’il n’en reste presque plus. Quand on fait des verticales on perçoit très nettement l’arrivée de la biodynamie à Mazeyres malgré le plaisir que j’ai à boire certains millésimes antérieurs à la certification, comme 2011 par exemple, ou 2010 évidemment. Il y a désormais un grand supplément de précision, de pureté. Et maintenant avec le 2016, on sent que tout est en place dans le vin. C’est grandissime. Tous les efforts trouvent leur aboutissement. C’est un millésime historique.

 

Si vous deviez demander ou imaginer une chose, formuler une idée pour enrichir ou accompagner votre travail, quelle serait cette chose ?

Je crois que j’aimerais bien être témoin des processus d’assemblage et déguster davantage avec Alain et Ludovic. C’est une part du travail viticole qui m’intéresse tout particulièrement. Sinon j’aimerais plus de réunions de partage des expériences, plus de temps avec Alain et avec l’équipe. Ou bien peut-être un rendez-vous quatre fois par an, aligné sur les saisons, où il évoquerait pour nous ce qu’il est obligé de survoler un peu pendant les dégustations et dont on se dit toujours que ce serait passionnant de creuser. Ce qui est écrit dans les sites est envoutant et je crois qu’il faut diffuser tout cela le plus largement possible. Que ce ne soit pas lettre morte mais lettre vivante.

 

L’être vivante est un vocable qui pourrait bien vous définir à cause de toute cette émotion dans vos propos dans lesquels circule beaucoup de vie. Merci Stéphany.

Oui l’émotion est ici autorisée, elle est notre façon d’Être-au-Monde ! Merci à vous d’être au Monde.