Fonroque est pour moi relié au féminin. Mon arrière grand-mère et ma grand-mère paternelle ainsi que ma mère, sont celles qui premièrement et de diverses manières ont favorisé mon attachement à cet endroit. J’étais chaque jeudi après-midi objet de la générosité de mon arrière grand-mère Adèle, dont l’attitude sociable et attentionnée s’appliquait à tous. Un goûter pantagruélique fait de tarte aux raisins servait de base gourmande à ce rituel. Y était systématiquement ajoutée une boîte de petits crayons de couleur qui contenait les trois teintes primaires plus deux secondaires et le cahier de coloriage qui allait avec. Je me souviens avoir méditativement rempli ces cahiers de papier en me laissant prendre dans le bourdon réconfortant des conversations. Par la suite ces visites sont devenues plus rares mais toujours favorisées par ma grand-mère. À son arrivée à Fonroque, cette femme aimante toujours parfaitement soignée ôtait ses souliers pour en chausser de plus rudes et arpenter librement la lourde chair de terre du coteau. Cueillette et ramassages divers étaient au programme et nous profitions des quelques poules et lapins qui occupaient encore les alentours de la maison. Anna et Gilbert, les responsables du vignoble, nous accueillaient de leurs exclamations et complimentaient une croissance inéluctable dont je m’enorgueillissais comme si j’en étais l’artisan. À l’époque le rognage de la vigne se faisait à la main à l’aide de cisailles. Et Gilbert avait toujours cette allure noueuse et massive, le corps pris à tout instant par le souvenir récent de l’effort quotidien que demandait l’entretien des 17,5 hectares de vigne dont il avait la charge. L’engrais a mis fin à ces pratiques manuelles, les rythmes de croissance suscités par ces apports étant impossibles à suivre. Le déséquilibre commençait, entre ce que les hommes entreprennent et ce qu’ils peuvent contenir.